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Séquestration du carbone dans l’industrie : une solution viable ? 

Publié le 19/12/2023      4 minutes de lecture

Quelle est la faisabilité technique de la séquestration de CO2 dans l’effort de décarbonation de l’industrie en France ?

Pratiques sol bois compensation carbone
Cultures sol bois compensation carbone

Séquestration du carbone dans l’industrie : utopie ou solution viable ? 

« Les principaux leviers de décarbonation de l’industrie passent surtout par l’électrification pour remplacer les énergies fossiles, mais aussi par le captage de carbone », peut-on lire dans un communiqué du cabinet de la Première ministre, Élisabeth Borne (juin 2023).  

La mention du captage de carbone est une nouveauté, car ce levier a toujours été absent de la feuille de route du gouvernement depuis l’Accord de Paris. Décryptage… 

Séquestration du carbone : de quoi parle-t-on ? 

La séquestration du carbone, parfois appelée piégeage ou captage de CO2, désigne le stockage du dioxyde de carbone à long (ou très long) terme hors de l’atmosphère, de manière naturelle par des processus biologiques, ou artificielle. 

#1 Le principe de la séquestration naturelle du dioxyde de carbone   

On parle ici du processus par lequel le CO2 est absorbé et stocké par les écosystèmes terrestres et marins, notamment les forêts, les sols, les océans et les zones humides. 

Grâce à la photosynthèse, les forêts captent le dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère et le convertissent en matière organique, elle-même stockée dans la biomasse végétale et les sols. Les océans absorbent une grande quantité de CO2 atmosphérique qui sera par la suite incorporé dans le carbonate de calcium par les organismes marins ou dissous dans l’eau de mer. 

Les sols sont également d’importants puits de carbone, qu’ils stockent sous forme de matière organique décomposée. Enfin, les zones humides, comme les tourbières et les mangroves, permettent de stocker de grandes quantités de carbone car leur matière organique affiche un taux de décomposition très faible à cause de l’absence d’oxygène, ou anoxie. 

💡 Même si cette séquestration est naturelle, elle reste largement influencée par l’Homme. La déforestation, l’agriculture intensive, l’eutrophisation et le réchauffement climatique lui-même réduisent la capacité des puits naturels à séquestrer durablement le carbone 

#2 La séquestration artificielle du carbone 

Directement inspirée du processus naturel, la séquestration artificielle fait référence à des techniques et technologies imaginées pour capturer activement le dioxyde de carbone issu de sources industrielles ou atmosphériques, pour ensuite le stocker de manière à empêcher sa libération dans l’atmosphère.  

Première étape : la capture du dioxyde de carbone 

Quelle que soit la technique ou la technologie mobilisée, ce processus commence par la capture du dioxyde de carbone qui peut se faire directement à la source, comme dans les centrales électriques ou les installations industrielles, ou au niveau l’air ambiant.  

Dans la capture à la source, le CO2 est extrait des gaz de combustion avant qu’ils ne soient émis dans l’atmosphère. Cette extraction s’effectue soit par absorption chimique, soit par des procédés physiques comme la condensation.  

La capture directe de l’air implique l’utilisation d’absorbeurs chimiques, de filtres à membranes, d’adsorbants solides, de cycles de calcium ou encore de systèmes de bioénergie avec capture de carbone. 

Deuxième étape : le transport du carbone capturé 

Une fois capturé, le CO2 doit être transporté vers un site de stockage par pipelines ou, dans certains cas, par navire. Le choix du mode de transport dépend de la distance et des caractéristiques géographiques entre le point de capture et le site de stockage. 

Troisième étape : le stockage du carbone capturé 

Les sites de stockage les plus courants sont les formations géologiques profondes, par exemple les aquifères salins, les gisements de pétrole et de gaz épuisés ou les veines de charbon non exploitées. Dans ces sites, le dioxyde de carbone est injecté sous terre à de grandes profondeurs où il sera piégé physiquement et chimiquement pour éviter son retour dans l’atmosphère. 

Genèse de la séquestration du carbone : le rôle du projet Sleipner, en Norvège 

La compréhension du rôle des forêts et des océans dans le cycle du carbone est relativement récente. C’est en effet au 18e siècle que Joseph Priestley et Jan Ingenhousz ont publié leurs travaux de référence sur la photosynthèse, avant que Jean-Baptiste Boussingault et Julius von Sachs n’établissent les bases de la connaissance sur la séquestration naturelle de carbone par les plantes, un siècle plus tard. 

La notion de « cycle global du carbone » se développera sur la base des travaux de ces pionniers au cours du 20e siècle, notamment avec les contributions de Roger Revelle et Hans Suess dans les années 1950, qui développeront le concept de puits naturels de carbone et leur contribution à l’équilibre des écosystèmes. 

L’idée de capturer et de stocker le dioxyde de carbone émis par l’industrie a commencé à prendre forme dans les années 1970. Mais c’est dans les années 1990 que la recherche et le développement dans ce domaine se sont intensifiés, en réponse aux préoccupations environnementales et à la prise de conscience de l’accélération du réchauffement climatique en conséquence des émissions de gaz à effet de serre (GES). 

Un des premiers projets de capture et de stockage de carbone (CSC) a été mis en œuvre par la compagnie pétrolière norvégienne Statoil (aujourd’hui Equinor) dans un projet pionnier à Sleipner, en mer du Nord (1996). Il s’agissait alors d’extraire le dioxyde de carbone des gaz naturels pour le réinjecter dans des formations géologiques sous-marines afin d’épargner l’atmosphère.  

Ce projet a marqué une étape décisive dans la séquestration artificielle :  

      • Il a permis d’extraire et de stocker, annuellement, environ un million de tonnes de CO2 ; 
      • Il a permis de mettre au point la technique de surveillance géologique pour s’assurer que le dioxyde de carbone injecté ne s’échappe pas vers l’atmosphère ou les eaux souterraines ; 
      • Il a démontré la faisabilité de la technique de séquestration à grande échelle et a pavé la voie pour des initiatives similaires, notamment le projet Gorgon en Australie et In Salah en Algérie ;  
      • Le projet de séquestration du carbone de Sleipner a joué un rôle important dans le développement des cadres réglementaires et des directives de sécurité en la matière. Les nouvelles connaissances acquises sur le terrain ont alimenté les politiques et les normes internationales établies par l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). 

La France souhaite mobiliser la séquestration de CO2 pour décarboner l’industrie 

« Les principaux leviers de décarbonation passent par l’électrification pour remplacer les énergies fossiles, mais aussi par le captage de carbone », peut-on lire dans un communiqué du cabinet de la Première ministre, Elisabeth Borne.  

Cette déclaration marque une rupture avec l’orientation de la politique publique en matière de décarbonation depuis l’Accord de Paris, où la séquestration artificielle du carbone était très rarement citée, pour ne pas dire absente des plans d’action. 

En effet, et à moins de pousser très loin le volet de la sobriété énergétique (par la contrainte), les puits naturels ne suffiront pas. Comme l’explique le GIEC, la séquestration naturelle du carbone permettrait de réduire la température de 0,4° C dans un scénario de réchauffement climatique de 1,5° C à l’horizon 2100.  

Cependant, si les températures venaient à augmenter davantage, la capacité des écosystèmes naturels à stocker le carbone s’en trouverait réduite. « Nous sommes actuellement sur une trajectoire de réchauffement climatique de l’ordre 2,7 °C – 3,1 °C», peut-on lire dans un rapport du GIEC paru en 2021. Il y a donc un facteur temps qui n’est pas à négliger, car plus la planète se réchauffe, moins les puits naturels pourront stocker du CO2. 

Cette alerte a sans doute contribué à la réintroduction de la séquestration artificielle du carbone dans la boîte à outils de décarbonation de l’exécutif. 

Séquestration carbone dans l’industrie : ce qui est prévu en France 

L’État souhaite lancer la grande décarbonation de l’industrie en France par les 50 sites industriels les plus émetteurs de GES, essentiellement dans les secteurs des engrais, du ciment, de la chimie et de l’acier.  

Le ministre de l’Industrie, Roland Lescure, a indiqué à l’occasion de l’édition 2023 du Salon aéronautique du Bourget que la priorité était à « l’identification des sites possibles d’enfouissement », probablement en mer du Nord, « et plus tard, pourquoi pas, en France ». 

Une fois ces sites identifiés, il s’agira de réaliser des « autoroutes du carbone » afin d’évacuer le carbone stocké via « un axe de carboducs » vers des ports de liquéfaction avant leur transport par bateau. Coût du projet : 50 milliards d’euros, avec un premier déblocage de fonds déjà réalisé à l’été 2023.  

L’Etat a choisi de se focaliser sur les usines les plus émettrices autour de Dunkerque, de Fos-sur-Mer, en Normandie et dans le Sud-est. Les 50 usines concernées sont responsables de 55 % des émissions de dioxyde de carbone industriel dans l’Hexagone. 

Séquestration du carbone dans l’industrie française : quid de la faisabilité technique ? 

La France dispose d’une certaine expertise dans les domaines de l’ingénierie et de la recherche industrielle appliquée à la capture et au stockage de carbone, notamment :  

      • La capture post-combustion, où le carbone est extrait des gaz de combustion à l’aide de solvants ; 
      • La capture en précombustion, qui implique la conversion du combustible en un mélange de dioxyde de carbone et d’hydrogène avant la combustion ;  
      • L’oxycombustion, où le combustible est brûlé en oxygène pur pour produire un courant de gaz riche en CO2, plus facile à capturer. 

Plusieurs projets pilotes en France ont démontré la faisabilité technique de la séquestration du carbone dans l’industrie :  

      • Le projet pilote de Lacq, dans le Sud-est, a été opéré par Total entre 2009 et 2013. Il a permis de capturer plus de 51 000 tonnes de dioxyde de carbone grâce à l’oxycombustion dans une centrale électrique au gaz. Le carbone capturé était ensuite transporté par pipeline et injecté dans le réservoir géologique de Rousse, à proximité ; 
      • En Normandie, les entreprises chimiques et pétrolières Air Liquide, Borealis, ExxonMobil, Total et Yara International se sont alliées pour développer une grande installation de capture et de stockage de carbone en Normandie. Le projet vise à capturer annuellement jusqu’à 3 millions de tonnes métriques de dioxyde de carbone qui seraient stockées dans la mer du Nord d’ici 2030 ; 
      • Le projet PYCASSO, qui capture le carbone des industries du sud-ouest de la France et du nord de l’Espagne, vise à stocker le carbone dans un champ de gaz épuisé en Aquitaine. Le projet prévoit de transporter environ un million de tonnes de carbone par an d’ici 2030​ ; 
      • Lancé en 2019, le projet 3D implique la construction d’une usine DMX™ chez ArcelorMittal, à Dunkerque. Ce projet pourrait réduire considérablement le coût de la capture et du stockage/utilisation du carbone, le rendant réplicable dans des sites industriels lourds, notamment les aciéries. Le projet 3D jouera également un rôle essentiel dans la conception du futur cluster Dunkerque-Mer du Nord européen qui vise à capturer, conditionner, transporter et stocker 10 millions de tonnes de CO2 par an. Il devrait être opérationnel d’ici 2035.