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« Pour les émissions fatales, il n’y a pas d’alternative à la capture, la séquestration ou l’utilisation du CO2 », Eric Bourdon (Vicat)

Publié le 22/01/2024      7 minutes de lecture

Alors que le gouvernement a publié le 13 décembre les contrats de transition écologique des cimentiers pour la réduction de leurs émissions de CO2 sur leurs plus grands sites, le directeur général adjoint de Vicat en charge des performances et des investissements détaille pour LeMoniteur.fr les mesures prises par son groupe pour atteindre ces objectifs.

Eric Bourbon (Vicat)

Les objectifs de réduction des émissions de CO2 fixés contractuellement entre l’Etat et Vicat pour ses sites de Montalieu (Isère) et Xeuilley (Meurthe-et-Moselle) sont impressionnants : respectivement -90, -87 %. Comment comptez-vous les atteindre ?

Ces chiffres s’expliquent surtout par la mise en place de solutions de capture pour le stockage et l’usage du carbone (CCS – carbon capture ands storage, CCU – carbon capture and usage). J’y reviendrai. Notre travail de décarbonation le plus important porte sur le matériau en lui-même et sur notre process industriel.

Comment décarbonez-vous vos ciments ?

Avec la réduction du volume de clinker dans le ciment. Nous travaillons sur les produits pour réduire cette quantité. Plusieurs solutions existent, avec des déchets ou des co-produits d’autres industries comme les laitiers de hauts-fourneaux (mais qui sont en « voie de disparition »). Ces solutions alternatives possèdent les mêmes propriétés que les produits classiques. C’est important parce que la construction est un secteur extrêmement conservateur et on ne peut pas venir changer du jour au lendemain les façons de faire. Avec moins de clinker nos produits possèdent les mêmes propriétés et assurent les mêmes performances qu’un ciment classique

 

Nous avons également des formulations de ciment avec plus de calcaire broyé et des argiles activées, ou de la pouzzolane naturelle, résidu notamment de la production des litières pour chats. Nous en utilisons d’ailleurs dans une de nos usines pour notre ciment Naturat. Ces argiles très faiblement carbonées sont activées thermiquement à des températures très inférieures à celles utilisées pour le ciment classique, ce qui permet de diviser par 4 le bilan carbone du produit final et peut même l’amener à zéro si on utilise des combustibles alternatifs. Pour cela nous sommes en train de construire, et nous démarrerons l’an prochain, un outil de calcination flash des argiles à Xeuilley, près de Nancy. Nous avons bénéficié d’une subvention de France Relance qui nous a permis d’accélérer sur ce projet qui était initialement prévu pour 2030.

Autre innovation, notre liant Carat à base de biochar permet de stocker du carbone dans la matrice cimentaire. Au moment d’une déconstruction à la fin de la vie d’un bâtiment, le béton pourra être broyé pour faire de nouveaux granulats et un nouveau béton ou pour être réutilisé dans le cru du four. Nous travaillons à la pérennité et à la circularité de nos produits.

Enfin nous allons profiter de la nouvelle réglementation Responsabilité Elargie du Producteur, REP, pour l’utilisation de granulats issus du recyclage, développés avec notre partenaire Carbon 8. Il s’agit de billes de granulats allégés dans lesquelles on stocke du carbone, que nous allons très prochainement mettre sur le marché.

Nous n’oublions pas non plus de travailler sur la sobriété : notre machine d’impression 3D béton de Chambéry nous permet de diviser par 2 la quantité de béton nécessaire à un projet pour un même usage.

« Il n’y a pas d’alternative à la capture et la séquestration ou l’utilisation pour les émissions fatales de CO2 »

Deuxième angle d’attaque, le process…

Sur notre feuille de route, nous avons avant tout un objectif d’amélioration de notre efficacité énergétique (scope 2) qui passe, par exemple, par une modification de nos technologies pour réduire la consommation électrique au moment du broyage. A Montalieu, plus grosse cimenterie française, nous avons par exemple installé des broyeurs verticaux qui permettent de réduire de 30% la consommation d’énergie électrique.

En ce qui concerne l’énergie thermique, nous substituons les combustibles primaires fossiles par des déchets énergétiques. Cela a deux vertus : ça permet bien sûr de réduire notre empreinte carbone, mais ça permet aussi aux territoires d’améliorer leur balance commerciale. Ces déchets locaux, dont on se sert comme combustible, c’est autant de combustible primaire qu’ils n’ont pas à importer. Nous visons à être à 100% de combustibles alternatifs d’ici à 2030 en Europe. Nous y avons 5 usines, quatre en France et une en Suisse. Celle-ci est déjà à 100%,  une de nos cinq usines française l’est également et une deuxième à 85%. Nous sommes donc en bonne voie pour atteindre l’objectif.

Une fois augmentés le taux de substitution des combustible, l’efficacité énergétique et la réduction du taux de clinker dans nos ciments, il reste le « hard to abate », les émissions fatales de CO2. Et pour celles-là, il n’y a pas d’alternative à la capture et la séquestration ou l’utilisation.

Comment allez-vous procéder ?

Depuis une bonne dizaine d’années, Vicat est en veille active sur le sujet et a identifié le CO2, certes comme un gaz à effet de serre, mais aussi comme un apport de carbone et d’oxygène. Soit on le capture et on l’enfouit, soit on le valorise pour en faire du plastique, du méthanol, des engrais… et cela demande de l’énergie.

Nous étions partis à fond sur le CCU (carbone capture et usage) et l’hydrogène nécessaire pour le produire. Avec le CEA et Schlumberger nous sommes donc rentrés au capital de Genvia (gigafactories d’électrolyseurs haute-température). Au capital de cette entreprise, nous apprenons énormément. Nous sommes également présents dans le capital d’Haffner spécialisé dans la production d’hydrogène issu de la biomasse.