Parc éolien : le guide pratique de la collectivité
Publié le 28/11/2023 4 minutes de lecture
Retrouvez dans ce dossier l’état des lieux du parc éolien français, un décryptage du ralentissement de l’implantation des éoliennes et notre guide pour les collectivités.
Parc éolien : état des lieux et guide pratique de la collectivité
En l’espace de deux décennies, la France a multiplié sa capacité éolienne par 35, avec plus de 22 gigawatts produits annuellement sur l’ensemble du territoire (métropole et Outre-mer). Cet effort a propulsé la France à la 8e position mondiale en termes de capacité d’énergie éolienne malgré un climat qui n’est pas forcément adapté aux turbines.
En dépit de cette dynamique, les derniers chiffres révèlent un ralentissement de l’implantation des éoliennes dans l’Hexagone, à la fois à cause de la contestation sociale, de la raréfaction des sites adaptés, de l’empreinte environnementale des projets et de leurs défis techniques.
Retrouvez dans ce dossier l’état des lieux du parc éolien français, un décryptage du ralentissement de l’implantation des éoliennes et notre guide à destination des collectivités qui envisagent un projet éolien sur leur territoire.
L’état des lieux du parc éolien en France : la progression continue, mais elle ralentit
Selon le tout dernier bilan du ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires (31 mars 2023), le parc éolien français produisait 22 gigawatts (GW), avec une hégémonie quasi-totale de l’éolien terrestre sur l’éolien en mer ou offshore (95.5 %).
La puissance des projets en cours de construction s’élève à environ 13.6 GW, dont 11 GW de projets éoliens terrestres et 2.6 GW de projets éoliens offshore. A terme, le parc éolien français devrait donc déployer plus de 35 GW, contre moins d’un GW en 2000.
Plus largement, l’éolien a connu une croissance fulgurante lors des 25 dernières années, suivant la même courbe ascendante que la majorité des autres énergies renouvelables (EnR), notamment le solaire.
Au-delà de la prise de conscience de l’urgence de la question écologique, cette progression doit beaucoup aux progrès de la technologie, puisque la puissance des turbines éoliennes a été multipliée par 100 depuis les années 1980 pour atteindre 3 000 kW pour les modèles traditionnels, et jusqu’à 7 000 kW pour les turbines éoliennes de dernière génération.
Le Service des Données et des Études Statistiques du ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires (SDES) a récemment diffusé le « Tableau de bord de l’éolien » qui retrace l’évolution du parc éolien français de 2000 à 2021 (voir plus bas). Si la puissance totale raccordée est en progression, le taux de croissance (ou la puissance annuelle supplémentaire) est en forte baisse. En effet, la plus forte hausse a eu lieu en 2017, et la plus faible progression est datée de 2021.
En règle générale, la capacité du parc éolien se calcule par unité de puissance (GW), ce qui ne permet pas de mesurer le nombre d’éoliennes présentes en France. Nous avons toutefois réalisé une estimation relativement fiable :
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En 2018, le ministère de la Transition Écologique avait indiqué que le parc éolien français comptait 6 500 éoliennes terrestres ;
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Durant cette période, l’éolien offshore pesait pour un peu moins de 3 % dans la totalité du parc, soit environ 200 éoliennes offshore ;
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Le total du parc éolien était donc d’environ 6 700 éoliennes en 2018 ;
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En suivant la progression de l’énergie éolienne sur le territoire en GW, on estime le nombre d’éoliennes terrestres en France à environ 8 200 en 2023 ;
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Les chiffres du ministère de la Transition Écologique mentionnent 1 942 parcs éoliens en France métropolitaine et d’Outre-Mer en 2023, ce qui nous donne 4.2 éoliennes par parc… une estimation raisonnable et en phase avec les observations sur le terrain.
Comme le montre cette carte interactive du parc éolien en France métropolitaine, c’est la région des Hauts-de-France qui compte le plus de parcs éoliens (459), loin devant le Grand Est (381 parcs éoliens). Le podium est complété par le Centre-Val de Loire et la Nouvelle-Aquitaine, ex-aequo avec 119 parcs éoliens.
Ralentissement de la progression du parc éolien français : quelles causes ?
La croissance du parc éolien en France montre des signes de ralentissement depuis la fin des années 2010. Plusieurs facteurs, tant géographiques, sociaux qu’environnementaux, expliquent cette tendance qui peut surprendre à l’aune des efforts pour la transition écologique de notre pays.
#1 Saturation des sites privilégiés pour l’éolien
Nous l’avons vu dans la carte interactive, la répartition des parcs éoliens en France est très inégale. Il faut savoir que l‘efficacité d’un parc éolien dépend en grande partie de l’emplacement choisi pour son installation.
Les régions bénéficiant de vents forts et réguliers sont naturellement plus propices à la production d’énergie éolienne. Depuis le début des années 2000, la France a exploité un grand nombre de ces sites privilégiés, jusqu’à saturer les zones à fort potentiel.
Les Hauts-de-France, la Champagne-Ardenne et la Bretagne ont connu une prolifération rapide des parcs éoliens en raison de leurs conditions venteuses favorables. Dans ces contrées, il devient de plus en plus difficile de trouver des zones qui combinent à la fois des conditions de vent optimales, une accessibilité au réseau électrique et une distance raisonnable des zones habitées.
Avec la saturation des sites privilégiés, l’industrie éolienne en France est désormais confrontée à la nécessité de repenser ses stratégies d’implantation en explorant les dernières innovations technologiques, des configurations de parc différentes ou en explorant des zones jusqu’alors délaissées en raison de défis techniques ou environnementaux (offshore notamment). Le rapport « Éoliennes en mer en Nouvelle-Aquitaine » documente cette problématique et propose des mesures en ce sens (PDF à télécharger ici).
#2 L’opposition locale aux éoliennes
Dans certaines régions, les riverains et associations environnementales se montrent réticents, voire opposés à la construction de nouveaux parcs éoliens. Les motifs évoqués sont multiples : nuisances sonores, impact visuel, perturbation des écosystèmes locaux, etc. Ces oppositions peuvent impacter la décision de lancer un projet éolien terrestre, entraîner des retards voire l’annulation pure et simple des projets, malgré la conscience des enjeux de développement durable.
En France, un mouvement d’opposition du côté de Nozay, en Loire-Atlantique, donne lieu à un bras de fer juridique depuis 2013 entre des agriculteurs et l’exploitant du parc éolien local, qu’ils accusent d’être à l’origine de la surmortalité et du stress de leur troupeau de vaches ainsi que de la baisse de la production et de la qualité du lait (voir cet article de Ouest-France).
Il est intéressant de noter ici un paradoxe. Aujourd’hui, l’acceptabilité des projets de parcs éoliens est largement majoritaire auprès de la population française. Elle a été estimée à 73 % du grand public et 80 % des riverains de l’éolien (Harris Interactive). Pourtant, 70 % des projets éoliens sont attaqués en justice en France, ce qui traduit une très forte opposition locale. Il semblerait donc que l’opposition soit davantage nourrie par les projets en eux-mêmes que par le principe de l’éolien. Ce thème est d’ailleurs récurrent dans le débat public, en France et dans le monde.
« L’analyse des opinions exprimées durant les enquêtes publiques et dans un cadre privé, lors des entretiens, a permis de vérifier le décalage qui existe entre les deux et de pondérer les avis exprimés durant les enquêtes publiques. On a ainsi pu mettre en avant, grâce aux entretiens, que les pratiques et l’ancrage local des sociétés de développement, les processus informatifs et l’association des habitants aux décisions sont des facteurs importants dans l’acceptabilité des projets [éoliens]. Ces éléments se révèlent être aussi importants que certains griefs indiqués dans les rapports d’enquêtes publiques, comme les impacts paysagers et les risques potentiels sur la santé et sur le cadre de vie. »
Extrait de l’étude « L’opposition aux projets éoliens terrestres, une forme de contestation territorialisée », de Romain Garcia, issue de l’ouvrage Géographies de la colère (2020).
#3 Les limitations techniques et l’impact sur l’environnement de la production des éoliennes
L’autre facteur qui ralentit le déploiement de l’éolien en France est lié aux défis technologiques et aux besoins en matières premières. La construction d’éoliennes nécessite du néodyme, du dysprosium et des terres rares utilisées pour la fabrication d’aimants permanents présents dans les turbines. L’approvisionnement de ces matériaux est dominé par la Chine et est sujet à des fluctuations de prix et à des tensions géopolitiques.
Autre facteur problématique : pour accroître la capacité de production des projets éoliens, les turbines gagnent en volume et en hauteur, ce qui pose des défis en termes de transport et d’installation. Par exemple, transporter les pales de ces turbines géantes nécessite des infrastructures routières adaptées, et leur installation requiert des équipements spécialisés ainsi qu’une main-d’œuvre hautement qualifiée.
L’augmentation de la taille des éoliennes nécessite également une réflexion sur leur durabilité. En effet, plus une éolienne est grande, plus elle est exposée à des contraintes mécaniques importantes, ce qui peut influer sur sa durée de vie.
Enfin, le recyclage des éoliennes en fin de vie est une préoccupation croissante. Si certaines parties de l’éolienne, comme la tour et les composants métalliques, sont relativement faciles à recycler, d’autres, comme les pales (fabriquées à partir de composites), présentent des défis en termes de recyclage. La prise en compte de cette fin de vie, tant du point de vue environnemental qu’économique, est capitale pour assurer une transition énergétique durable où l’éolien joue un rôle de premier plan.
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter le volet « environnement et économie circulaire » du rapport 2022 de l’Observatoire de l’Éolien (PDF à télécharger ici).
La collectivité et l’éolien : le guide de l’élu
Les collectivités qui envisagent l’éolien doivent se pencher sur des questions fondamentales liées à la vision et à la gouvernance du projet. L’enjeu est de déterminer le rôle souhaité pour l’éolien dans la région, la nature du projet territorial global envisagé ainsi que le niveau d’engagement attendu de la collectivité et des citoyens, tant en termes de gouvernance que de financement.
Les réponses à ces interrogations orienteront les modalités opérationnelles du projet, notamment le choix des partenaires et le plan de financement. L’implication des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) est décisive, avec une diversité de rôles possibles, allant de la simple conformité réglementaire au financement intégral du projet.
Idéalement, cette implication devrait s’effectuer à l’échelle de l’intercommunalité, car elle dispose généralement des ressources nécessaires pour conduire un projet de cette envergure. En réalité, le périmètre d’une seule intercommunalité peut parfois être insuffisant, nécessitant une collaboration entre plusieurs intercommunalités pour aborder la question à une échelle plus large.
De plus, pour les régions faisant partie d’un Parc Naturel Régional (PNR), ce dernier peut guider la discussion sur les critères et les sites d’acceptation des projets éoliens, étant donné son rôle en matière de paysage et de protection de l’environnement.
Point de vigilance : veiller à l’intégrité du projet en évitant tout conflit d’intérêt. Si un élu possède un intérêt direct ou indirect dans le projet (patrimonial, professionnel…), il doit s’abstenir de toute participation décisionnelle pour assurer la transparence et la légitimité du processus.
L’ADEME évoque quatre niveaux ou degrés d’intervention pour les collectivités qui envisagent un projet éolien sur le territoire :
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La simple conformité réglementaire ;
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La facilitation et l’accompagnement ;
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La participation au financement et à la gouvernance ;
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La maîtrise totale de la gouvernance et du financement.
Voyons chaque niveau d’intervention en détail.
#1 Éolien et collectivité – Degré d’implication n°1 : la simple conformité réglementaire
Si la commune décide de ne pas s’impliquer activement dans un projet éolien envisagé sur son sol, son rôle se limitera principalement à la phase de consultation lors de l’enquête publique.
L’opinion exprimée par le Conseil Municipal doit être soumise dans les 15 jours après la fin de cette enquête pour être valide.
Si la commune possède des terrains concernés par le projet éolien, elle devra naturellement approuver certaines démarches liées à la gestion de ces terrains. Dans ce contexte, les bénéfices économiques pour la commune se limitent aux recettes fiscales et, le cas échéant, aux loyers ou indemnisations si le parc est établi sur des terrains municipaux.
#2 Éolien et collectivité – Degré d’implication n°2 : la facilitation et l’accompagnement du projet
Plusieurs raisons peuvent pousser la collectivité à s’impliquer plus activement dans le projet éolien : valoriser une ressource locale et renouvelable, mettre en œuvre une politique locale de développement durable, diversifier son mix énergétique, etc.
Le premier niveau d’implication consiste en la facilitation et l’accompagnement du projet, sans le financer ou le piloter.
La coopération entre la collectivité et le porteur du projet est primordiale. Ils peuvent établir des règles de fonctionnement et une méthodologie de développement, soit de manière informelle, soit à travers une charte ou une convention. Cette documentation assure la population que la collectivité maîtrise le projet.
Montrer que c’est aussi le projet du territoire
Le projet éolien ne devrait pas être vu uniquement comme un moyen de produire de l’électricité propre.
S’il est intégré dans une vision globale de transition énergétique décidée par les collectivités locales, il sera mieux accepté. Il faut donc envisager le projet éolien comme une partie intégrante d’un ensemble plus large d’initiatives énergétiques sur le territoire.
L’information et la communication : des vecteurs d’acceptabilité par la population
Comme expliqué plus haut, les études montrent que la majorité des citoyens ont une image positive des parcs éoliens… mais les riverains épinglent souvent un manque d’information et une tendance à les mettre devant le fait accompli.
La communication et les informations données doivent donc être claires et fiables. Les collectivités jouent un rôle essentiel en s’assurant que la concertation est bien menée et que toutes les parties prenantes sont informées, même (surtout ?) pendant les phases creuses du projet éolien.
Un comité de suivi, constitué dès le début du projet, réunit les acteurs majeurs pour diffuser l’information et consulter les différentes parties prenantes. La composition de ce comité peut varier selon l’étape du projet.
Les réunions publiques sont efficaces, mais elles peuvent aussi être source de tensions. Les réseaux sociaux, s’ils sont utilisés judicieusement, peuvent être un outil de communication précieux. Certaines collectivités optent pour le référendum local, mais ce dernier peut s’avérer source de conflits.
Les élus peuvent faire face à des pressions des opposants ainsi que des promoteurs. L’opposition à un projet est normale, mais elle est souvent amplifiée par des rumeurs. Une transparence totale dans la gestion du projet est donc nécessaire.
Bien que la production d’électricité éolienne soit une activité commerciale, la collectivité a son mot à dire sur le choix de l’opérateur. De plus en plus de collectivités choisissent de s’engager avec des opérateurs locaux, soit par la signature d’une charte, soit par un appel à projet. Le choix se base sur la rentabilité financière, mais aussi la taille du futur parc, le volume de production, l’expérience et la réputation, etc.
#3 Éolien et collectivité – Degré d’implication n°3 : la participation au financement et à la gouvernance
Le financement des projets locaux d’énergie renouvelable par les acteurs locaux, notamment les collectivités, se justifie à plusieurs niveaux. Il vient renforcer la légitimité et l’acceptabilité des projets tout en garantissant un retour économique au territoire. Ce type de financement :
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Assure une gouvernance partagée pour une meilleure prise en compte des intérêts locaux ;
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Renforce l’approbation et l’acceptabilité des projets grâce à l’implication directe des acteurs locaux ;
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Maximise les retombées économiques en veillant à ce que les profits générés reviennent en grande partie aux acteurs du territoire ;
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Favorise la sensibilisation aux enjeux énergétiques, favorisant ainsi le changement de comportement des citoyens.
En choisissant de financer localement, divers acteurs d’un territoire (collectivités, habitants, agriculteurs, etc.) peuvent devenir actionnaires du projet. Ce modèle, qui gagne en popularité en France, est déjà largement adopté dans des pays comme le Danemark et l’Allemagne.
La capacité des communes et leurs groupements à produire de l’électricité à partir d’EnR est encadrée par le Code Général des collectivités territoriales. Le montage juridique repose sur trois principales fonctions :
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Le développement, une phase caractérisée par un certain niveau de risque. Il finance les études préalables au projet ;
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La phase d’investissement consiste à réunir les fonds nécessaires et à négocier avec les banques pour financer le projet ;
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La phase d’exploitation implique l’installation, la maintenance et l’exploitation proprement dite du parc éolien.
Le choix du statut juridique de la société d’exploitation dépend de plusieurs critères comme la taille du projet, le montant de l’investissement, le nombre et le type de partenaires. Plusieurs statuts sont possibles : SARL, SA, SAS, statuts permettant une implication spécifique de la collectivité comme la SEM ou la SCIC, etc.
L’investissement citoyen peut jouer un rôle dans l’acceptabilité du projet. Si les citoyens ne souhaitent pas participer à la gouvernance, ils peuvent opter pour un financement via une plateforme de crowdfunding ou l’ouverture d’un compte à terme. À l’inverse, si une participation à la gouvernance est désirée, l’investissement s’effectue généralement via la souscription d’actions de la société de projet ou une participation indirecte via une structure intermédiaire.
#4 Éolien et collectivité – Degré d’implication n°4 : la maîtrise totale du financement et de la gouvernance
Certaines collectivités choisissent de prendre le contrôle total du projet éolien. Cette approche leur donne la mainmise sur la gouvernance et le financement mais nécessite une implication importante en termes de ressources et de gestion des risques.
Avant de se lancer dans un tel projet, la collectivité doit évaluer ses capacités d’investissement et comprendre la prise de risque associée à chaque phase du projet. Investir lors de la phase de développement est plus risqué car le projet n’a pas encore été approuvé ou réalisé.
Dans ce modèle, c’est la collectivité elle-même qui prend en charge le projet, soit directement, soit en passant par des entreprises spécialisées. Ce cas de figure est souvent observé chez des régies ayant des ressources financières solides et des revenus stables, comme une taxe sur l’électricité. Avec ce niveau d’implication, la collectivité assume tous les risques liés au projet.
Autre option pour la collectivité : créer une SPL avec d’autres entités publiques. Ce type de société requiert au moins deux actionnaires publics et est exclusivement financé par des fonds publics. Concrètement, aucun partenariat privé, y compris avec les citoyens, n’est permis. Bien que la SPL ait été créée en 2010, elle reste encore peu utilisée à ce jour. A noter : même si ce format est 100 % public, la collectivité peut collaborer avec des professionnels de la filière, par exemple en lançant des appels d’offres publics.