Décarboner les territoires : 4 success-stories à l’international

Publié le 06/12/2023      4 minutes de lecture

Cette chronique de la décarbonation nous mènera au Costa Rica, au Panama voisin, en Suède puis au royaume himalayen du Bhoutan.

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Décarboner les territoires : retour sur 4 success-stories à l’international ! 

Le Costa Rica a engagé une remontada inédite dans l’Histoire en reboisant son territoire. De son côté, la Suède a révolutionné l’industrie en inventant l’acier sans combustibles fossiles, une prouesse impressionnante dans une filière très polluante.  

Du côté du royaume himalayen du Bhoutan, la Constitution s’impose en garante du taux de forestation du territoire. Et au Panama, le canal éponyme évite à la flotte navale mondiale l’émission de centaines de millions de tonnes de CO2. Retour sur 4 success-storiesinspirantes ! 

#1 Décarboner le Costa Rica… ou comment reboiser un pays entier 

La destruction des forêts tropicales humides contribue à hauteur de 20 % aux émissions mondiales de dioxyde de carbone qui réchauffent notre planète. Mais la déforestation n’est pas irréversible, et le Costa Rica en est la preuve la plus éloquente ! 

Les causes d’une déforestation fulgurante 

En 1900, ce petit pays d’Amérique Centrale pouvait se targuer d’une couverture forestière dépassant les 85 %. En 1989, soit moins d’un siècle plus tard, la forêt ne couvrait plus que 29 % de son territoire. Plusieurs facteurs expliquent cette déforestation éclair :  

  • L’expansion agricole et pastorale : des forêts entières ont été abattues pour laisser place à la culture et surtout à l’élevage de bovins pour répondre à la demande massive de viande et de produits laitiers, tant au niveau national qu’international ; 
  • Le bois costaricien est mondialement réputé pour sa qualité. A des fins d’exportation, les forêts ont donc subi une coupe intensive et souvent non réglementée ; 
  • A partir des années 1960, les gouvernements qui se sont succédé au Costa Rica ont encouragé la conversion des forêts en terres agricoles pour promouvoir le développement économique ; 
  • L’urbanisation galopante et le développement des infrastructures, notamment les routes, ont largement contribué à la réduction des couvertures forestières. 

Heureusement, nous assisterons à un revirement spectaculaire, avec une nouvelle politique environnementale à partir de 1996. Le succès est tout simplement phénoménal, puisque la couverture forestière est revenue à son niveau des années 1940. Mais qu’est-ce qui explique ce virage ? 

Quel a été le déclic de la décarbonation du Costa Rica ? 

Au-delà de la prise de conscience écologique, le pays a dû faire face à une crise économique directement liée à la déforestation. La perte de biodiversité et la dégradation des écosystèmes ont en effet eu des impacts graves sur des secteurs clés de l’économie costaricienne comme le tourisme et l’agriculture. Cette situation a clairement montré aux dirigeants que le modèle de développement basé sur l’exploitation non durable des ressources naturelles était économiquement et écologiquement insoutenable. 

Le Costa Rica est donc l’un des premiers pays au monde à s’être fixé un objectif inconditionnel de neutralité carbone d’ici à 2050, bien avant la France. L’objectif est de véritablement décorréler la croissance économique des émissions de gaz à effet de serre le plus rapidement possible, tout en tenant compte des coûts que cela implique.  

Le programme « Décarbonisation » remonte à 1949 avec la promotion des sources renouvelables pour générer de l’électricité. Puis, dans les années 1980, le Costa Rica a promulgué une loi interdisant l’abattage et la récolte des forêts dans les parcs nationaux, les réserves biologiques, les mangroves, les zones protégées, les refuges pour la faune et la flore et les réserves forestières appartenant à l’État. 

Aujourd’hui, le mix électrique du pays se rapproche des 100 % renouvelables, provenant notamment de l’hydroélectricité (barrages et cours d’eau), de la géothermie et des éoliennes. Aussi, environ 54 % du territoire costaricien est couvert de forêts, ce qui joue un rôle important dans la réalisation de l’objectif de zéro émission nette.  

Le secteur des transports concentre les efforts de décarbonation du pays 

Le défi reste dans le secteur des transports, responsable de 66 % de la consommation d’hydrocarbures et de 54 % des émissions de dioxyde de carbone du pays, dont près de la moitié provenant des voitures privées. 

L’électrification du secteur des transports est donc capitale pour atteindre le zéro carbone et répondre aux objectifs de l’Accord de Paris. C’est ce que reconnaît le plan de décarbonisation récemment lancé par le pays, puisque trois des dix actions sont axées sur la mise en place d’un système de transport plus propre et plus efficace. Voici quelques-uns de ses objectifs : 

  • 30 % des véhicules de transport public ne produiront aucune émission, et un nouveau train 100 % électrique pour passagers sera opérationnel d’ici 2035 ; 
  • Le système de transport public fonctionnera de manière intégrée et remplacera le véhicule privé comme première option de mobilité pour la population de la grande région métropolitaine d’ici 2050 ; 
  • 85 % de la flotte des transports publics ne produira aucune émission d’ici à 2050 ; 
  • 30 % de la flotte de véhicules légers, privés et institutionnels, sera électrique d’ici 2035. 95 % de la flotte sera à zéro émission de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050 ; 
  • Le train de marchandises électrique de Limon (TELCA) a été mis en service en 2022 et transporte désormais des marchandises depuis et vers le nouveau port de Limon, là encore sans émissions de gaz à effet de serre ; 
  • Seule 20 % de la flotte de fret fonctionnera au gaz de pétrole liquéfié (GPL) d’ici à 2030. 

Les 9 mesures qui ont contribué à la décarbonation du Costa Rica 

Plus largement, le Costa Rica a déployé une politique à 360° pour se donner les moyens de ses ambitions depuis le milieu des années 1990. Synthèse des mesures les plus marquantes : 

  1. Programme de Paiement pour Services Environnementaux (PSE). Ce programme a été crucial dans la décarbonation du Costa Rica. Entre 2005 et 2015, il a permis d’investir plus de 318 millions de dollars dans la reforestation, la conservation et la gestion durable des forêts, affectant plus d’un million d’hectares. Les propriétaires forestiers sont rémunérés à hauteur de 64 dollars par hectare par an pour la conservation des forêts ; 
  1. Moratoire sur la déforestation. Le moratoire de 1996 sur la coupe à blanc des forêts primaires a été un tournant dans la politique environnementale de l’Etat. Cette mesure forte a permis de doubler la couverture forestière du pays entre 1980 et 2022 ; 
  1. Fonds National de Financement Forestier (FONAFIFO). Cet organisme joue un rôle clé dans la décarbonation ainsi que la gestion du PSE et des autres initiatives de conservation. Il régule l’obtention de financements, notamment via des mécanismes de crédits carbone ; 
  1. Parcs nationaux et aires protégées. Le Costa Rica a élargi son réseau de parcs nationaux et d’aires protégées qui couvrent désormais 26 % de l’ensemble du territoire. D’ailleurs, le Parc National Corcovado est devenu l’un des modèles de conservation de la biodiversité les plus étudiés au monde ; 
  1. Le secteur du tourisme écologique a connu une croissance importante pour s’imposer comme l’une des principales sources de revenus du pays. En 2022, le Costa Rica a accueilli plus de 3 millions de visiteurs, générant des revenus significatifs qui ont contribué au financement des projets de conservation ; 
  1. La grande réforme agricole. La réorientation des subventions agricoles vers des pratiques durables a également été un facteur clé pour décarboner le pays. On parle notamment de la promotion de l’agroforesterie, une pratique agricole intégrée qui combine la culture des arbres et des plantes agricoles ainsi que l’élevage sur le même terrain pour créer un système qui imite les écosystèmes naturels. Objectif : favoriser la biodiversité, améliorer la santé des sols et augmenter la résilience écologique (conserver les ressources en eau, séquestrer le carbone, améliorer la productivité des terres agricoles, etc.). ; 
  1. Les initiatives locales comme le Projet de Reforestation et d’Éducation Environnementale de Monteverde (PREM), le Projet Corridor Biologique de san Juan-La Selva, l’Association Communautaire de Reforestation de la Péninsule d’Osa ou encore le Programme de Reforestation de Guanacaste illustrent la volonté de l’Etat d’impliquer les populations locales dans l’effort de reforestation et de conversation. Ces projets ont permis de réaménager les territoires tout en créant des emplois durables et non délocalisables ; 
  1. Collaborations Internationales. Tout au long de cette aventure de décarbonation, le Costa Rica a travaillé étroitement avec le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM) et le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). 

#2 Comment la Suède se décarbone depuis la fin de la 2e Guerre Mondiale  

La Suède, c’est un peu l’art de se protéger du froid tout en respectant l’environnement. Si le royaume scandinave est en avance sur ses voisins européens en matière de performance énergétique des bâtiments, c’est qu’il a engagé une politique de décarbonation depuis plus de 70 ans, bien avant la prise de conscience de l’urgence de la question climatique. 

Construction, isolation, chauffage… les voisins européens de la Suède, dont la France, ont sans doute beaucoup à apprendre du processus de décarbonation du secteur du bâtiment suédois. 

Selon un rapport du Haut Conseil pour le Climat en France, publié en novembre 2020, le secteur du bâtiment serait responsable de plus d’un tiers des émissions de dioxyde de carbone dans l’Union Européenne (environ 26 % en France). C’est donc un levier essentiel dans la lutte contre le changement climatique et l’atteinte de la neutralité carbone, un objectif que l’UE vise pour 2050.  

Un autre rapport, cette fois de l’ONU, estime que pour atteindre cet objectif, « les émissions directes de CO2 du secteur doivent diminuer de 50 % d’ici 2030, et les émissions indirectes de 60 % ». Ce ne sont donc pas des avancées résiduelles qui sont attendues, mais bel et bien une percée inédite dans l’Histoire 

En Suède, ce processus est déjà bien entamé. Selon l’Agence Nationale pour l’Environnement, les émissions de gaz à effet de serre issues du chauffage en Suède, un pays pourtant proche du cercle arctique, ont diminué de 90 % entre 1990 et 2019, pour atteindre 885 000 tonnes d’équivalent CO2. C’est moins de 2 % des émissions totales à l’échelle nationale. Mais comment le pays a-t-il pu réaliser cette performance ? En s’appuyant sur trois leviers : les économies d’énergie, le passage aux énergies renouvelables et l’innovation. 

La quête de l’efficacité énergétique des bâtiments au lendemain de la 2e guerre mondiale 

Dès les années 1950, la Suède a commencé à déployer des normes très exigeantes en matière de performance énergétique des nouveaux bâtiments, avec notamment des couches d’isolation (très) épaisses et du triple vitrage partout. Ces normes sont, encore aujourd’hui, bien supérieures à ce qui se fait en France. 

Dans les années 1970, en plein choc pétrolier, le pays scandinave a lancé une politique volontariste pour réduire sa dépendance au pétrole, une ressource jugée volatile, voire dangereuse pour un pays non pétrolier. Le charbon dans un premier temps, puis le nucléaire et les énergies renouvelables par la suite, scelleront le renouveau énergétique du pays. D’ailleurs, la taxe carbone est une réalité en Suède depuis… 1991 ! Aujourd’hui, elle caracole à 120 € par tonne de dioxyde de carbone. 

Autre facteur clé de succès de la décarbonation scandinave : environ la moitié des réseaux de chauffage sont alimentés par la combustion de biomasse issue de l’industrie forestière, mais aussi par l’incinération des déchets, les pompes à chaleur ou la récupération de la chaleur produite par les industries.  

Comment la Suède a produit le premier acier sans combustible fossile au monde 

La Suède a livré la première cargaison mondiale d’acier produit sans l’utilisation de combustibles fossiles… une étape MAJEURE dans la réduction des émissions de carbone de l’industrie. Une cargaison de cet acier a été livrée au fabricant suédois de camions Volvo AB FIN 2021, mais il faudra attendre 2026 pour voir des quantités industrielles sortir des entrepôts. 

Cette prouesse est tout simplement disruptive le contexte des efforts du pays et de l’Europe pour limiter le réchauffement climatique.  

Il faut savoir que la production d’acier est l’une des activités économiques les polluantes de la planète. Des recherches publiées par Carbon Brief expliquent par exemple que 553 aciéries conventionnelles sont responsables de 9 % de toutes les émissions de dioxyde de carbone mondiales en raison des grandes quantités de combustibles fossiles, en particulier le charbon à coke, utilisés pour produire l’alliage. L’institut prévoit que la production d’acier à l’échelle mondiale augmentera d’un tiers d’ici 2050 pour répondre aux besoins des économies émergentes. Ce nouveau procédé devrait donc peser dans la décarbonation de l’industrie. 

Lors d’une conférence de presse, le ministre suédois de l’Économie, de l’Industrie et de l’Innovation, Ibrahim Baylan, s’est dit « heureux d’être ministre dans un pays où l’industrie bouillonne d’énergie pour le grand Reset vert ». Et de poursuivre : « L’industrie, et en particulier l’industrie sidérurgique, génère beaucoup d’émissions de gaz à effet de serre, mais elle fait aussi partie de la solution ». 

L’acier vert a été créé par une coentreprise entre le sidérurgiste suédois SSAB, l’entreprise énergétique Vattenfall et la société d’exploitation des minerais de fer LKAB. Une technologie nommée HYBRIT, contraction de Hydrogen Breakthrough Ironmaking Technology, remplace les combustibles fossiles à la fois dans la production des granulés de fer qui sont l’ingrédient clé de l’acier, et dans l’élimination de l’oxygène du fer en remplaçant le carbone et le coke par de l’hydrogène vert. SSAB utilise ensuite ce fer pour produire des brames d’acier destinées au tissu industriel. 

SSAB, LKAB et Vattenfall prévoient de lancer la production industrielle à grande échelle du nouvel acier en 2026. Volvo a annoncé dans la foulée qu’il serait le premier constructeur automobile au monde à produire des véhicules en acier sans combustible fossile. 

Même si ce projet est pionnier, il n’est pas le seul à vouloir relever le défi de l’acier vert. D’autres acteurs suédois sont également en piste, à l’instar de H2 Green Steel qui prévoit une première livraison mi-2024. 

Au-delà de l’Europe, le chinois Baowu, plus grand sidérurgiste mondial, s’est engagé à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et commence à développer des technologies à base d’hydrogène pour réduire la part des combustibles fossiles dans sa production. Tata Steel en Inde a développé le processus HIsarna, qui utilise encore du charbon mais qui promet 20 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre. 

#3 Le miracle des pays « carbon-negative » 

Le Bhoutan : préserver les écosystèmes tout en éradiquant la pauvreté 

Le Bhoutan, c’est avant tout une approche environnementale profondément ancrée dans une culture et des traditions millénaires. Ce petit pays, situé dans l’aire culturelle du bouddhisme mahāyāna, a perpétué la protection de l’environnement à l’ancienne, telle qu’elle est représentée dans ses valeurs spirituelles et sociales.  

A cette tradition éco-friendly s’ajoute une volonté politique remarquable, qui va par exemple mesurer le progrès non pas à travers le PIB, mais à travers un indicateur étonnant : le Bonheur National Brut. Le Bhoutan place donc le bien-être de ses citoyens et la préservation de l’environnement au cœur de son identité et de son dessein en tant que nation. 

Aujourd’hui, le Bhoutan n’est pas seulement un pays neutre en carbone. C’est un pays dit « carbon-negative », c’est-à-dire qu’il absorbe plus de carbone qu’il n’en émet !  

Les forêts denses qui recouvrent une grande partie de son territoire jouent un rôle clé dans cette prouesse. Elles absorbent en effet plus de 9 millions de tonnes de carbone chaque année, une quantité plus de deux fois supérieure aux émissions produites par ce pays (4 millions de tonnes de carbone annuellement). 

La Constitution bhoutanaise exige que le gouvernement maintienne au moins 60 % de couverture forestière sur le territoire national. Aujourd’hui, ce taux dépasse les 70 %. Cette politique de conservation des forêts s’inscrit en réalité dans une philosophie qui concilie, depuis plusieurs décennies, le développement économique et la protection de l’environnement. Le Bhoutan a pu préserver son écosystème unique tout en divisant son taux de pauvreté par trois en à peine 10 ans, puisqu’il est passé de 36 % en 2007 à moins de 12 % en 2017, selon les données de la Banque Mondiale.  

#2 Le Panama, à l’avant-garde de la décarbonation mondiale 

Béni par une situation géographique unique, le Panama est le point de jonction entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud, y compris au niveau de la faune et de la flore. Cette vaste biodiversité s’épanouit dans les forêts denses et les grands océans.  

Avec le Bhoutan et le Suriname, le Panama est l’un des trois pays à bilan carbone négatif au monde. Ses terres forestières, qui couvrent 65 % de l’ensemble du territoire, capturent donc plus de CO2 que ce que le pays émet. 

En 2021, le Panama a augmenté son aire marine protégée de 30 % par décret, avec la création d’une réserve de plus de 67 000 kilomètres carrés, soit quasiment la superficie totale du pays. Ce projet s’inscrit dans le cadre de l’initiative 30X30 de l’ONU. Par cet engagement, le Panama cherche à protéger la vie sous-marine et la durabilité de ses ressources marines.  

Le Canal du Panama contribue, lui aussi, à cet effort de décarbonation :  

  • En 2020, le Canal du Panama a permis d’éviter l’émission de 13 millions de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) en permettant aux navires d’emprunter un itinéraire plus court. Depuis son inauguration en 1914, le Canal a permis d’éviter l’émission de plus de 850 millions de tonnes de dioxyde de carbone ; 
  • La gestion du Canal du Panama est particulièrement innovante, avec notamment la réutilisation de l’eau pour le fonctionnement des écluses à hauteur de 60 %, l’ajustement en temps réel des apports et décharges en fonction des conditions météorologiques et la régulation du nombre de passages de navires (ou de leur taille) en période de sécheresse ou de faible précipitation ; 
  • Du 1er août au 30 novembre, le Canal du Panama déploie les recommandations de vitesse et de trafic établies par l’Organisation Maritime Internationale (OMI) afin de protéger les baleines, les dauphins et autres grands animaux aquatiques lors de leur migration saisonnière. 
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