Décarboner sa fabrication pour rester compétitif,
la bonne équation ?

Publié le 10/08/2023  3 minutes de lecture

par la rédaction de decarbonation2030
Au cœur du projet de loi « Industrie verte », la décarbonation de l’industrie française a le vent en poupe. Mais comment gérer la phase de transition sans y perdre en compétitivité face à des concurrents moins regardants ?
Entrepôt avec panneaux photovoltaïques
De France Relance à « Industrie verte » en passant par France 2030, qui ambitionne de diviser par deux les émissions du secteur, le gouvernement fait de la décarbonation de l’industrie (18 % des émissions territoriales) un objectif majeur. Mais comment rester compétitifs tout en absorbant les investissements massifs que cela implique ? « Il conviendrait de préciser ce que signifie décarboner, observe Thibault Ben Khelil, Directeur Conseil chez Greenflex. Zéro carbone, neutre en carbone, etc. on s’y perd un peu ». Pour Mathieu Salel, Directeur Recherche et Innovation chez EcoAct,
« 
la compétitivité mériterait d’être redéfinie au regard des enjeux actuels, géopolitiques, industriels, etc. » 

Quoi qu’il en soit, la plupart des industriels français affichent
des objectifs de décarbonation, notamment de leurs process de fabrication. « 
Si on ne le fait pas, à moyen terme, la réglementation, la fiscalité ou l’indisponibilité des ressources nous y contraindront », prévient Éric Bergé, en charge du pôle Industrie lourde au Shift Project et co-auteur d’un rapport publié en janvier 2022 et intitulé « Décarboner l’industrie sans la saborder. » 

Plusieurs leviers y contribuent. L’optimisation des procédés, qui vise à utiliser moins d’énergie et de matière, « est désormais un objectif durablement partagé » veut croire Éric Bergé. Mais dans certains secteurs, comme le plastique, la décarbonation passera forcément par une forme de sobriété, car tout recycler serait trop énergivore.  

Produire localement

 

Les achats ont leur rôle à jouer, en favorisant des matériaux eux-mêmes moins carbonés, fabriqués plus près, en plus petite quantité… Acheter moins cher ne doit plus être l’objectif principal. « Face à des enjeux de résilience, de relocalisation ou d’anticipation de risques tels que des ruptures d’approvisionnement, les industriels et leurs fournisseurs doivent de plus en plus travailler ensemble, tout au long de la chaîne de valeur », observe Thibault Ben Khelil.  

Relocaliser permet de se prémunir contre les pénuries mondiales qu’on a vues se multiplier ces dernières années. « Pour être compétitif, encore faut-il qu’un produit soit disponible, dans des délais acceptables par les clients », remarque Mathieu Salel. 

Economies d’énergie et innovations de rupture

 

Côté énergie, nombre d’industriels s’emploient à améliorer leur efficacité et à décarboner leur mix, notamment en électrifiant les process lorsque c’est possible ou en substituant de la chaleur
de récupération ou des chaudières alimentées aux combustibles solides de récupération (CSR) à des énergies fossiles. Dans le cadre de contrats de performance énergétique, des sociétés de tiers-financement comme Kyotherm portent les investissements, que l’industriel lui rembourse au fil du contrat grâce aux économies générées. « 
Le principe, c’est que cela lui revient d’entrée de jeu moins cher », précise Luca Vieren, chargé d’investissement.  

La décarbonation s’obtient aussi grâce à des innovations de rupture telles que le DRI (direct reduction iron) qui, à condition d’utiliser un hydrogène bas-carbone, évite les émissions de CO2 inhérentes
à la sidérurgie conventionnelle. « 
L’enjeu est donc de rendre possible ces innovations de rupture », souligne Éric Bergé. Autrement dit, de préserver les ressources financières des industriels et de leur permettre de se projeter à long terme. Ce qui, pour lui, passe avant tout par l’accès à une énergie décarbonée abordable et surtout, à des prix connus à l’avance. 

Questionner les modèles d’affaires

 

Inévitable, la décarbonation n’en reste pas moins onéreuse, même si les investissements peuvent bénéficier de nombreuses aides publiques, notamment dans le cadre des dispositifs de certificats d’économie d’énergie (CEE), du Fonds Chaleur ou du Fonds de décarbonation industrielle « Plus la fabrication du produit est énergivore et carbonée, plus on peut espérer un coût d’abattement marginal faible » rappelle Mathieu Salel. La durée de vie de l’équipement, donc de l’amortissement, entre aussi en compte.

Outre une meilleure résilience, la décarbonation permet de se prémunir contre l’augmentation attendue de la fiscalité carbone ou la multiplication des normes, qui devraient contribuer à protéger les produits européens face à des concurrents moins regardants. Par exemple, l’extension du marché européen du carbone à de nouveaux secteurs (bâtiments et transports) ; la mise en place du MACF (mécanisme d’ajustement carbone aux frontières), qui devrait s’étendre après une période transitoire portant sur les seuls produits semi-finis ; ou le durcissement de normes performancielles telles que les émissions des véhicules par km parcouru, imposées par Bruxelles, ou la RE2020 appliquée aux constructions neuves, qui tient compte de l’empreinte carbone des matériaux de construction.

Ils sont de plus en plus nombreux à utiliser un prix interne du carbone pour piloter leur politique d’investissement.

Concernant la seule compétitivité prix « il convient de tenir compte non seulement du prix d’achat, mais aussi du coût d’utilisation du produit sur sa durée de vie (total cost of ownership» rappelle encore Mathieu Salel.

« Outre le succès commercial que peuvent espérer les précurseurs, l’exemplarité, le fait de prouver que c’est possible, peuvent faire boule de neige et venir nourrir des scénarios ou des récits d’un monde à la fois décarboné et désirable », insiste Thibault Ben Khelil.

Pour toutes ces raisons, certains industriels atteignent aujourd’hui une maturité qui leur permet de changer de paradigme et de questionner leurs modèles d’affaires. « Leur réflexion se fait à partir du point de chute : où dois-je être en 2030 ou 2050 pour rester rentable ou tout simplement, pour survivre ?», précise Mathieu Salel. « Et ils ne raisonnent pas seulement carbone, mais aussi biodiversité et matériaux. »

 

 

 

par la rédaction de decarbonation2030